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« Cabane », d’Abel Quentin : les cassandres et les somnambules

« Cabane », d’Abel Quentin, L’Observatoire, 480 p., 22 €, numérique 15 €.
Abel Quentin, pas encore 40 ans, est un romancier qui traite de grands sujets. Son premier livre, Sœur (L’Observatoire, 2019), parle du terrorisme islamiste, dont il a une connaissance de première main pour avoir, en tant qu’avocat, assuré la défense de djiha­distes. Le second, Le Voyant d’Etampes (L’Observatoire, 2021), est une comédie noire sur la ­cancel ­culture. Et voici Cabane, qui parle de l’effondrement.
Nous avons tous conscience d’être arrivés à un moment historique tel que les optimistes s’attendent à la fin du monde que nous connaissons et les pessimistes à la fin du monde tout court. Jusqu’à des temps assez ­récents, on pouvait encore dire que l’homme, depuis l’Antiquité, a toujours répété que c’était mieux avant, qu’il a toujours cru l’apo­calypse imminente, mais aujour­d’hui cette peur millénariste, irrationnelle, est devenue une évidence à la fois scientifique et d’expérience quotidienne : on peut tourner la tête, essayer de penser à autre chose, il n’empêche qu’on y est.
Face à un phénomène aussi énorme, il est surprenant que tant de gens qui écrivent continuent à le faire comme si de rien n’était, comme si, au volant d’une voiture qui va dans quelques ­secondes s’encastrer dans un camion remorque, ils continuaient à régler l’autoradio à la recherche de leur playlist préférée. Mais je suis injuste en disant cela : beaucoup de gens qui écrivent cherchent une façon d’écrire là-dessus, en fait. Un ami éditeur m’a dit qu’une bonne moitié des manuscrits qu’il reçoit sont des dystopies. Un roman vraiment marquant est le récent Ministère du futur, de l’écrivain de science-fiction Kim Stanley Robinson (Bragelonne, 2023), qui s’ouvre sur la description mémorable d’une vague de chaleur en Inde, du point de vue de ses millions de victimes, et raconte ensuite, sous forme de thriller, le travail d’une institution visant à représenter les intérêts des générations futures – s’il y en a – devant les responsables de ces désastres.
Abel Quentin parle de la même chose, mais il s’y prend autrement. Il part d’un rapport réel, le rapport Meadows, commandé par un think tank appelé le Club de Rome et paru en 1972 sous le titre « Les limites à la croissance (dans un monde fini) ». Il y a cinquante-deux ans, le rapport Meadows prévoyait très exactement tout ce qui nous arrive aujourd’hui. Il était alors possible d’échapper à cette fatalité. Ce rapport a été lu, discuté jusque dans le grand public. Il a troublé certains esprits. D’autres, plus nombreux, ont traité ses auteurs de cassandres. On a haussé les épaules, on est passé à autre chose. Business as usual : l’éternelle histoire.
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